"Juju et l'inconnue du Musée de l'Homme" par Julien Jouanneau

La voûte céleste grisâtre s’affale sur le Musée de L’homme, où je dois couvrir une exposition. Un quart de cadran à combler. Coup de rétine dans le couloir. Métamorphose instantanée en statue de marbre, combustion spontanée de mes synapses.
Un chef-d'œuvre féminin ahurissant, qui n’existe que sur les photos retouchées par Photoshop, est scotchée sur un banc. Le croisement génétique glorifié entre Natalie Imbruglia, Romy Schneider et Audrey Hepburn. Mais parlant français, qui glisse à travers des lèvres aux contours édifiants. Le genre de visage à côté duquel la Joconde est reléguée au rang de sticker Panini.


- Putain vous êtes belle !
L’entité féminine paradisiaque est habituée à ce qu’on lui dise, hausse ses sourcils effilés en arcs de cercle.

 

- Pardon excusez-moi, mais franchement, c’est sorti naturellement. Vous devriez faire des photos. Bon par contre vous feriez couler Photoshop….
- Je suis anthropologue, je travaille là…

- Euh, je suis journaliste, désolé mais c’est mon travail d’être lourd et insistant…

Un sourire Email diamant, sans morceau d’épinard coincé dedans !

- Super, j’aime bien la presse ! Surtout qu’ils nous aident dans nos recherches, un véritable partenariat !


Je cale mon postérieur mouillé par les giboulées sur le banc. Il couine à son contact. Sonorité douteuse.

- Hum, euh…écoutez, je préfère vous tourner le dos
...
- Pardon ?

- Sinon je ne pourrais pas vous parler normalement, franchement je vous écoute pas, je vous regarde !!!

- Je ne vais quand même pas enfiler une Bourka !

Et le sens de l’humour en bonus ! Assis épaules contre épaules, mes omoplates détectent sa bretelle de soutien-gorge, c’est assez déstabilisant. Flagrant délit d’hypocrisie journalistique.
 


- Hum, euh excusez-moi…

 

Ces putains d’anges qui passent, n’ont pas posé de lapin.

 


- Vous avez vu le squelette de Lucy, jamais vu des tibias aussi bien conservés. C’est con ce que je dis hein ?


Elle claque son classeur. Prémice soit d’un lever rapide, soit d’un regard axé sur le mien. Deuxième solution ! La conversation s’embringue alors dans une dimension parallèle. Infinie, avec des retours oraux à chaque phrase prononcée, un échange de match de tennis.
La conversation s’étend jusqu’aux mystères et interrogations sur les légendes ancestrales des navigateurs puniques, écume les rivages de la littérature pour explorer des thèmes inconnus, vogue au loin vers les mystères de la téléréalité, frôle les improbables rivages de la philosophie, accoste la nature de l’être humain et de l’être journalistique, sans oublier la condition et la Cause des pigistes, puis sombre par ma faute sur la formule secrète des Pépitos. Triple tour de cadran pour l’horloge. Trois tours sans prendre de café. Les battements de cœur en roulements de tambour, je la laisse se lever.


- Vous ne voulez pas un café ? Trois heures sans café, pour un journaliste, c’est à écrire dans le Guinness Book.

- Ok allons-y, je vais juste parler au directeur pour mon projet, je vous attends dehors.

- Non mais vous n’avez pas un défaut ? Vous devez être une tueuse en série un truc dans le genre non ?

- Qui sait…fait-elle en se levant et s’apprêtant  partir pour rejoindre son univers.
- Attendez je vais noter votre numéro sur un papier !

Je tâte mon costume de pigiste à la recherche d’un stylo. Elle s’éloigne en marchant à reculons et en mordillant sa lèvre inférieure. Bon signe !


- Un journaliste sans stylo ? sourit-elle.


Soudain une vague de têtes blondinettes m’arrivant à l’estomac se fracasse sur moi. Je suis coincé. Je tente de progresser.


- Poussez-vous purée, poussez-vous !! Putain de sorties scolaires de mes fesses ! Attendez, votre téléphone alors ! Euh, pour une interview en tête-à-tête hein !

- Alors 06…

 


Une entité enfantine blonde à tâches de rousseur tient un crayon affublé d’une tête Bugs Bunny. Je lui chipe pour tenter de noter les chiffres !


- Oui je note…

- PAPAAA le Monsieur a volé mon stylo !! réagit le nain.

- Dites donc vous, vous allez lui rendre le stylo ? fait en écho un voix plus grave.

- C’est pour la presse ! Je suis grand reporter pour Pomme d’Api ! Je lui rends tout de suite !

- 37…

- Oui oui ??

- 57…

- REGARDE LE SQUELETTE PAPA !!! crie l’être humain miniature à côté de moi.
Et m’empêche d’entendre la fin du numéro. Je jette un regard luciférien à l’entité blondinette. Mon vibreur chatouille ma poche.

-Allô Juju oui c’est Charlie ! Alors cette conférence de presse ?
- Oh merveilleuse, indescriptible, fantastique, ubuesque Charlie, et belle !
- Ah ben j’t’enverrai aux prochaines alors vu ton enthousiasme !

Je claque le clapet du téléphone. Puis coup d’œil face à moi. Elle s’est volatilisée. Retour sous la voûte céleste qui chiale sur mon bout de papier. L’encre fond comme sur du buvard. La pluie chatouille mes oreilles. Mes cheveux se transmutent en serpillère. Je fais un tour à 360°degrés, rien, personne, hormis un coup de pied dans le tibia par la touffe blondinette à deux bras qui me reprend son stylo. Mais ce n’est pas mon tibia qui gémit.





Mais qui est Juju le pigiste ?

Juju-le-Pigiste--Cr--dits-Benjamin-Boccas.JPGQui ne connaît pas Juju Le Pigiste ? Bon, à part sa famille, ses quelques amis, les attachées de presse de grandes marques de produits lessiviers  et éventuellement une petite amie de passage, presque tout le monde ignore la puissance journalistique de Juju.

Mais ne vous y trompez pas et découvrez en avant (presque)-première cette plume qui a percé à jour chaque interviewés, qui manie les mots mieux que Maître Cappello et surtout qui a su en faire rire plus d’un.

A 27 ans, Juju est donc pigiste comme son nom l’indique. Il a travaillé pour de nombreux magazines et journaux nationaux, ce qui lui a notamment permis de rencontrer des personnalités hors du commun comme deux filles de Nice people de TF1 dont plus personne ne se souvient ni du nom ni des fesses, un animateur de maison de retraite ou encore Henri, président du club de Frisbee de Trifouilly les oies.

Mais Juju est bien plus qu’un simple pigiste à la recherche du scoop qui le fera se révéler à TF1 et mettra hors d'état de nuire PPDA ; il est  aussi un être spirituel à la quête incessante de son Saint Graal à lui : le CDI. Et oui, difficile est la place au soleil du journaliste embauché à vie à La Croix, Elle voire Playmate Magazine.

Je suis sûre que vous serez séduit par Juju le Pigiste dont les aventures incroyables et les rencontres improbables sont relatées presque quotidiennement sur son blog. Je vous invite également à lire son tout premier roman "Confessions d'un pigiste" aux Editions du Cygne.

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Crédit photo : Benjamin Boccas

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