Chronique d'un cancer de la dent : la reconstruction (part.1)
- Et vous n’avez pas oublié les pierres de Swarovsky sur les jantes ?, demande le chirurgien.
C’est pour faire une surprise à ma femme. J’ai eu la chance d’avoir ce financement à la dernière minute. D’ailleurs, il est assis juste en face de moi (sourire dans ma direction). C’est ça. Oui voilà. A demain. Oui, je lui dirai. Mes amitiés à votre dame également. C’est ça je vous embrasse. Oui. Bisous, bisous. Excusez-moi, mon concessionnaire.
Bon, pour en revenir au cas qui vous préoccupe ma chère BritBrit, résumons : six mois après votre cancer de la dent, nous allons passer à la reconstruction. Rien de plus simple et ce d’autant plus que je suis un chirurgien hors pair :
1) On vous prend un os de la jambe,
2) On vous le greffe au reste de votre maxillaire,
3) On vous visse les dents 3 mois plus tard
Et hop ! Vous voilà avec le même sourire qu’Elisabeth Taylor.
- Heu, mais Liz Taylor est morte.
- Et alors, morte ou pas, elle et ses dents devraient bien vous faire envie vu votre lamentable état.
- …
- Alors, on se dit à dans une semaine. Juste avant, j’ai un super Congrès à New York à l’Upper East Side sur les aficionados de la prémolaire. Il paraît qu’il y a aura même Blake Lively en guest. J’adore ses jambes et ses dents sont à tomber.
- (sur le ton de la dépression) Passionnant.
- Je ne vous le fais pas dire. J’en suis tellement excité que je ne suis fait un mois de traitement intensif de blanchiment des dents. Je suis lumineux jusqu’à la racine comme jamais.
(Faille spatiotemporelle)
Salle de Réveil
Oulà, j’ai du mal à distinguer la touffe permanentée qui est dans le lit à côté de moi ? Ne serait-ce donc point Larusso avec son tuyau vert dans le nez ? Larusso ou Richard Cocchiante ? A moins que cela ne soit le Bichon de Julien Doré. De nos jours, les hôpitaux sont prêts à tout pour recueillir des fonds, même à faire clinique vétérinaire. Je tâte ma tête pour voir si on ne m’a pas fait d’affreuses bouclettes dans mon sommeil. Cela ne serait pas tout que malade, je sois en plus momoche.
-Purée, celle-là, elle ressemble vraiment à rien, dit en me regardant le brancardier en me ramenant dans ma chambre. Il est où mon iPhone pour la photo ? Trop fort, avec elle, j’ai même pas besoin du filtre déformant « Dumbo bouffe des cacahuètes ».
Je manque de m’étouffer dans mon masque à oxygène ce qui, aux dires de la communauté scientifique médicale, est un cas extrêmement rare.
J+1 : où est la pompe à morphine ?
J’essaie de tâter tout ce qui est à la portée de mes mains à la recherche de la pompe à morphine. C’est pas que je souffre le martyr mais il m’a toujours été d’avis qu’il valait mieux vaut prévenir que guérir, et que moi la morphine, j’aime ça. Sinon, à quoi cela sert d’aller à l’hôpital ?
Je m’enquiers de cet étonnant état de fait auprès des soignants. Léger malaise ambiant avant qu’une main anonyme pousse devant mon lit un pauvre externe rouquin et rubicond, a priori souffre-douleur de l’équipe. Il déplie lentement un papier manuscrit et lit d’une voix monocorde et faiblarde :
Madame BritBrit Chérie,
Compte-tenu de votre surconsommation de morphine lors de votre dernière hospitalisation en nos murs avec pour effet un épuisement massifs des nappes morphiques de la pharmacie,
cause pour laquelle 70 % des patients ont dû être apaisés grâce à des peluches Mon petit Poney,
le service maxillo-facial a voté à l’humanité le retrait pur et simple de votre pompe à morphine et de vous distribuer en échange des Dafalgan à la demande
dans la limite de 6 comprimés à 500 mg par jour, soit 3 gr quotidiens.
En espérant que votre séjour parmi nous vous soit des plus agréables, nous vous souhaitons, Madame BritBrit, un très très prompt rétablissement parce que vous avoir dans notre service "c’est pas du gâteau" dixit la responsable de la cantine.
En vous remerciant de votre attention et de votre bonne tension artérielle.
J+2 : Question look
On le sait, sur cette question, hors de question de transiger. Je suis belle quoi qu’il arrive, sur le plateau de La Roue de La Fortune, à la fin d’un marathon en talons aiguilles, après avoir fait une pêche au gros en boîte de nuit,… Le seul problème, c’est que quand j’ai jeté un œil dans le miroir histoire de remettre un coup de fer à friser sur la mèche, je me suis aperçue que ma joue refermait au moins une portée de cinq ou six castors et pas des prématurés si vous voyez ce que je veux dire.
JE SUIS HORRIIIIBLEEEUUHH ! Je tombe dans les pommes, je veux mourir avec René la Taupe au pied d’un disque d’or de M. Pokora.
J+3 : Lève-toi et marche.
M’en remettant à prescription, selon laquelle plus on marche plus l’oedème de la joue diminue rapidement, je tente de remettre en marche ma guibole ponctionnée de son péroné appuyé sur un déambulateur appartenant d’après son marquage au feutre indélébile au service des soins palliatifs. Présage ?
Refusant de me laisser entraîner vers le tunnel où m’attend Bobby, mon chien de quand j’avais 5 ans mort d’une crise cardiaque après que je lui aie éclaté près de son oreille un ballon pendant sa sieste, je m’accroche comme une forcenée à l’objet de la rédemption et arrive à faire maladroitement trois pas. Mais quels trois pas ! Les plus beaux depuis mes dix-huit mois (oui, j’ai marché très tard et alors ? Ca ne m’a pas fait reculer non plus !).
- Ca ne mériterait pas un peu de morphine pour me féliciter ?, je demande.
Réponse collégiale des soignants présents :
- Non !
J+4 : Rencontre avec Mamie Violine
Désormais, je peux traverser en moins de 20 minutes le couloir de 35 mètres de long. Un exploit. Je suis géniale, la force est en moi, je suis le Jedi de la béquille. Demain, je vole !
Mais soudain un vent transperce ma chemise de nuit et manque de me renverser telle une tortue des Galápagos. Cette tempête du désert, c’est mamie Violine. Deux péronés en moins, une arthrose et des rhumatismes sur chaque os et des cheveux violets pâles. Dans le service, tout le monde l’aime et trouve la trouve épatante, elle, sa gentillesse et surtout sa formidable capacité de rémission. Le dimanche, elle a même droit à un baba au rhum plus arrosé que ceux des autres. C’est décidé, je la hais.
J+5 : l’os tombe (attention, moment d’émotion. Ame sensible s’abstenir et passer à J+6).
L’autogreffe os du mollet / maxillaire échoue pitoyablement au bout d’un délai normalement hors de danger. L’os se meurt et le cortège funèbre en blouse verte m’emmène d’urgence au bloc pour le rendre à la nature (comprendre : à la poubelle).
A mon réveil, l’interne tiré au sort pour me servir de présence rassurante, me dit que oui la greffe est un raté mais que non, rien n’est perdu, qu’il existe d’autres solutions. Je pleure. Il essuie mes grosses larmes avec le Bétadine qui me donne un teint de cagole qui vient de passer 24 heures d’affilées dans une cabine auto-bronzante.
Avant de quitter la salle de réveil, je ne peux m’empêcher de donner un baiser à une gaze antibactérienne et de la jeter dans la poubelle où se trouve le corps de mon os en signe d’au revoir. Le reverrai-je avec Bobby le Chien me faire une haie d’honneur dans le tunnel lumineux le jour de mon Grand Départ ?
J+6 : La pauvre excuse.
- Je ne vois qu’une explication, Mademoiselle Chérie, dit le chirurgien tête basse et tournicotant son gant en latex, pour qu’une telle greffe échoue ainsi, c’est que vous ne vous supportez pas vous-même.
- Vous rigolez, je m’adore.
J+7 : Mamie Violine décroche une jambe
Il fallait s’y attendre, Mamie Violine vient de s’arracher les ligaments des deux jambes. Est-ce ma faute à moi si une tubulure traînait dans le couloir entre le bureau des infirmières et ma chambre et qu’elle s’est tendue pile poil au moment où Mamie Violine montrait à une aide-soignante comment elle faisait des double Lutz dans sa jeunesse. C’est triste de vieillir…
Allez, bien le bonjour au service orthopédique Mamie Violine ; ce couloir est désormais mon royaume.
J+8 : Dépression
- Ah non, vous n’allez pas nous faire le coup de vouloir vomir avec Sébastien Tellier ou Pete Doherty comme la dernière fois ! râle l’infirmière un brin autoritaire.
- Pourquoi ? Je peux vomir avec qui je veux non quand même ?
- Non. Le professeur du service n’a pas de culture musicale au-delà de Charles Trenet alors abstenez-vous de le ridiculiser devant l’ensemble du personnel.
- Je peux dégobiller sur du Colette Renard alors ?
(en chantant) « Je me fais nourrir le hérisson, Je me fais laminer l'écrevisse, Je me fais remplir le vestibule, je me fais gonfler la mouflette… »
- Arrêtez, j’ai des hauts-le-coeur !
- Ah non, je ne veux pas vomir avec vous !
J+9 : Dépression encore !
Je tente le tout pour le tout pour avoir un peu de morphine. Je pleure dès que l’on me parle de Lady Gaga, je regarde les yeux dans le vague les rediffs de Carré Viiip, j’invoque le pardon pour Michèle Alliot-Marie des râles dans la voix, et j’ai même cédé le couloir à un boiteux que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam.
- Vous êtes sûrs que vous n’auriez pas un peu de morphine pour m’aider à remonter la pente ?
Nouvelle réponse collégiale des soignants :
- Non !
J+10 : Je sors
- Allez, allez, dehors mon bouchon, me dit le chirurgien. On recommence tout ça dans trois mois, juste après le salon de la mandibule à Dubaï. Vous verrez, la prochaine fois, il n’y aura pas de mauvaise surprise. On va faire au plus simple :
1) On vous prend de l’os de la hanche
2) On le greffe à votre reste de maxillaire
3) Et zou, vous vous retrouvez 6 mois plus tard avec le même sourire de Farah Fawcett grâce à de merveilleux implants en porcelaine de Limoges.
- Mais Farah est…
- Oui, je sais, elle est décédée. Et alors ? Des implants, cela dure ad vitam aeternam. J’avais un chien aujourd’hui mort sur lequel j’ai fait mes premiers tests « implantaires » et je peux vous dire que tout est encore en place.
- Mais vous êtes…ignoble !
- Non, c’est juste de la médecine.
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