Gloria Gaynor, la voisine et moi
Vous ai-je déjà parlé de ma voisine d’il y a un an? Quel horrible oubli ! Je vous raconte tout. Ma voisine s’était donc installée avec son petit copain d’alors sur le pallier d’en face. Comme tout bons voisins qui se respectent, je ne l’aime pas (elle est foutue comme Blake Lively) et elle ne m’aime pas (je ne suis pas aimable).
Le plus agaçant ce n’est pas sa bouche parfaitement ourlée, son sourire étincelant, ses yeux vert d’eau et son regard méprisant quand elle me croisait dans l’ascenseur. Non, ce qui m’énerve le plus, ce sont ses amis. Quelle que soit le jour ou l’heure de la nuit, sa sonnette retentit, ses murs tremblent des rires devenus gras grâce à l’alcool ou de chansons massacrées devant Sing Star. Moi aussi, je sais chanter. Je connais par cœur le répertoire de Britney Spears. Malgré tout, je l’enviais ma voisine, moi qui vivais dans une ambiance monacale pour écrire avec un talent de talonnette quelques mots sur un blog même pas référencé dans les pages de Be (pourtant faut pas être Voltaire pour y figurer).
Enfin bref. Un soir, lasse de ne pas trouver les mots et d’entendre « I will survive » une nouvelle fois calomnié, j’y suis allée chez ma voisine. J’ai pressé le bouton de la sonnette. Un joli pressage dans le style rapide et sympathique qui semblait dire « Bonjour, je suis la voisine d’en-face. Vos amis ont l’air sympa, les miens ne sont pas très loufoques. Je peux venir ?».
Ma voisine a ouvert. Elle était là, belle princesse du haut de son mètre soixante-dix arrondis, moulée dans un petit jean parfait et un petit haut à paillettes un peu vulgaire. Cela dit, ma voisine porte très bien les choses vulgaires. Elle m’a regardé hautainement, tout à son grand étonnement que moi, sa voisine d’en-face, puisse oser venir la déranger. Son regard disait « Tiens, c’est la conne d’en-face ! » alors que sa bouche formulait un cinglant « Oui, voulez quoi ? ». Comme vous pouvez le constater, ma voisine ne sait pas vraiment composer des phrases dont la structure grammaticale soit des plus académiques, elle a toutefois le mérite de ne pas parler par onomatopées. Devant l’exploit linguistique, je n’ai pu que bredouiller un hésitant « Heu… Vous pouvez chanter moins fort ? Si Gloria Gaynor était morte, elle se retournerait dans sa tombe». Elle a alors tourné les talons en lançant un « Fait chier » tout en claquant la porte façon Francis Huster quand il joue le gars en colère. Je suis restée là, juste derrière, mi-figue mi-raisin. C’est vrai quoi à la fin, on n’est pas obligé d’aimer Gloria Gaynor en mode « j’agonise sur le parquet ».
Suite à cela, ma voisine ne m’a plus adressé la parole. Elle me fermait la porte de l’ascenseur au nez, faisait uriner son chien sur mon paillasson en forme de peton - celui où il y a écrit « Ici, c’est le pied » -, allant même jusqu’à tatouer ma boîte à lettres d’un » Fuckin' Beach » (ma voisine n’était pas très douée en anglais).
Et puis un jour, plus de bruit dans l’appartement de ma voisine. Plus d’amis qui chantent à tue-tête et vomissent le trop plein d’alcool et de pizzas dans la cage d’escalier.
D’abord, j’ai cru ma voisine partie en vacances, mais après une enquête poussée consistant à regarder à l’intérieur de sa boîte aux lettres, j’ai remarqué que le courrier était relevé tous les jours. Ensuite, j’ai pensé qu'ell était en phase spirituelle aggravée : chakras fermés, déprime ostentatoire due à des pustules purulentes pugnaces. Point de tout cela.
La cause était ailleurs : ma voisine n’avait tout simplement plus d’amis. Comment je l’ai su ? Alors qu’elle pleurait devant l’immeuble, je me suis approchée d’elle et sans que je ne sache pourquoi, elle m’a tout déballé. Son aventure de trois jours avec Sylvain le fiancé de sa meilleure amie Caro, son chéri parti et ses amis avec afin de soutenir le bellâtre bafoué. Parce que voilà, les amis de ma voisine n’étaient pas ses amis mais les amis de son petit ami. Vous me suivez là ? Et plus elle racontait, plus elle pleurait. C’était limite énervant. Je me suis donc levée, la laissant là dans ses larmes et ses mouchoirs. Après tout, je ne l’aimais pas.
Les minutes après mon départ s’en sont soudainement suivies d’un bruit assourdissant. C’était ma voisine qui, pour changer, polluait encore une fois mon espace sonore. Je me suis penchée par la fenêtre. Ma voisine avait décidé de voler telle Icare. Elle aurait mieux fait de lire la mythologie grecque plutôt que de faire la fête à tue-tête, cela lui aurait évité de fracasser de tout son corps le pare-brise de la Peugeot 407 garée en bas.
Je suis allée à son inhumation, il n’y avait personne, pas un seul ami. Il n’y avait que moi qui ne l’aimais pas, mais qui au fond, aurais bien aimé chanter du Gloria Gaynor avec ma voisine.